Notice

Responsabilité | Phénomène par lequel on parle pour quelqu'un d'autre, à sa place ou en son nom. Manières plus ou moins légitimes de porter la parole d'autrui, de se présenter comme représentant d'un groupe ou d'une catégorie, voire d'usurper la parole de quelqu'un.

Qui exactement parle quand on parle ? Qui fait-on parler ? Dans le discours de fin de mandat de Jacques Chirac en 2007 on peut entendre ainsi une étonnante variété de positions d'énonciation : le Président, le citoyen, le gouvernement, l'homme Chirac, ou encore le Peuple. La collection responsabilités essaie de faire entendre la manière dont différentes instances (individuelles, collectives, symboliques) peuvent être contenues, impliquées, suggérées dans une parole donnée.

Nous avons identifié trois grands types de relations qu’entretient le locuteur avec ces instances ou ces étiquettes : parler au nom de quelqu'un (représentation), en tant que quelque chose (appartenance), ou à la place de (substitution).

Représentation

Il peut s’agir d’une représentation, c’est-à-dire d’une responsabilité de type "au nom de X". Une parole énonce une instance au nom de laquelle l’animateur de la parole s’exprime, en vertu d’une relation explicite : je représente la parole d'autrui avec une certification reconnue comme légitime. Se pose dans ce cas la question des modalités de légitimation de cette relation (le mandat, la loi, le vote, l'expérience), c'est-à-dire des conditions devant être réunies pour que cette responsabilité soit intelligible, juste, incontestable, etc. 

La fonction de président de la République confère à celui qui s'exprime la faculté de parler au nom du peuple. Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy remet la légion d'honneur à Dany Boon : "C'est aujourd'hui la France toute entière, Dany, qui vous remercie..." ; derrière cette instance présidentielle se trouve impliqué l'ensemble des Français : en tant que président, je peux parler au peuple au nom du peuple (écouter aussi We are now the generation of the heart of the fight back). 

À l'inverse, dans ce discours en 1956 au premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne, Aimé Césaire délimite clairement la responsabilité du "nous" qui est le sujet et l'adresse de son discours (les intellectuels noirs) : il se garde bien d'élargir cette responsabilité à celle de représentant ou de porte-parole du peuple tout entier (écouter aussi Répressif, Je vis moi aussi, I want to report a fight, Au nom de DieuChokolomo chokolomo). C'est pourtant en briguant la représentation d'un peuple tout entier qu'Eva Joly en campagne pour les présidentielles de 2012 affirme son appartenance à une composante spécifique de ce peuple.

Appartenance

Il peut s’agir d’une relation d’appartenance, c’est-à-dire d'une responsabilité de type "en tant que X". Je parle en tant que (je fais partie de la classe) femme, ouvrier, poète, résistant, Noir, Américain démocrate, etc.. Cette stratégie permet d'orienter la réception d'un discours, d'en préciser les implications dans un contexte donné, mais ne constitue pas a priori une responsabilité : je ne parle pas forcément au nom de la catégorie à laquelle j'appartiens. Il est néanmoins aisé de glisser de cette présentation (de soi) vers une représentation (de la classe dont je suis un membre) : c'est ce qu'on entend dans cette intervention de Daniel Balavoine face à François Mitterand. On entend le même type de glissement dans ce message électoral d'Arlette Laguiller ou encore, de manière peut-être plus spectaculaire ("nous sommes" = "ils sont" = "la France entière") dans ce commentaire de la victoire de la France à la Coupe du Monde 1998 (écouter aussi Ça fait dix ans qu'il nous fait la leçon, Ce que nous défendons, You must change your ways). 

Le fait de parler en tant que X entretient une relation possiblement polémique avec le fait de parler au nom de ce X. La question de la légitimité de cette responsabilité peut constituer un objet de controverse, comme dans cet extrait de talk-show, ou bien un objet à manier avec précaution, comme le fait Emmanuelle Béart, qui, invitée sur un plateau télévisé pour témoigner de l'expulsion des sans-papiers de l'église Saint-Bernard en 1996, préface son intervention d'un "Je suis ici en tant que femme" destiné à faire apparaître une catégorie inattendue, compte-tenu de ce qu'elle représente ordinairement sur un plateau télévisé, à savoir une actrice (écouter aussi J'ai des positions politiquesIl n'y a que des faux témoins).

Substitution

Une autre relation possible est la relation de substitution, c’est-à-dire celle d'une usurpation plus ou moins consentie. Un individu ne parle pas seulement en tant que ou au nom de, mais vraiment à la place de. Mon discours tient lieu du discours d'autrui, je suis lieu-tenant, je parle à la place des gens. C'est ce qu'on entend chez les filles du film L'Esquive, ou ici avec Claude Levi-Strauss qui parle des états d'âmes d'un collègue, ou encore quand Angelo Badalamenti raconte la genèse de la B.O. de Twin Peaks (écouter aussi Il est tombé assez amoureux, En plus i s'fout d'ma gueule, La Pomponnette, Baguette de merde). 

Dans cet entretien, Malcolm X  va parler non seulement au nom des Noirs ou en tant que Noir mais, plus curieusement, au nom de la classe des esclaves à laquelle il exhibe son appartenance : "The same slavemaster who owned us put his last name on us to denote his property". Il incorpore ainsi l'héritage de l'esclavage et la responsabilité de cet héritage jusqu'à une forme d'identification : il s'agit ici littéralement de parler pour les esclaves, c'est-à-dire à leur place, dans la mesure où ils n'ont pas (n'ont jamais eu) la parole.

C'est bien pour exemplifier ces conseils que cette coach médiatique prête ses phrases à sa commensale. Parler à la place des autres est monnaie courante chez les politiciens, notamment au cours des soirées électorales quand, à partir de simples chiffres, ils induisent toutes sortes de messages délivrés par les électeurs. Le comique Christophe Alévêque joue précisément de cette imposture qui prétend dégager une seule voix d'une multiplicité d'opinions très diverses. 

Cette forme de substitution est également à l'œuvre dans l'imitation (écouter La pomme-frite classiqueC’est gentil d’accepter de me parler). Mais le procédé de la citation peut également relever de cette catégorie : c’est le cas de cet entretien avec Jacques Lacan, lequel est justement sommé par son interlocuteur de préciser la relation de responsabilité qu’il entretient avec ce qu’il vient de dire à la place de Freud. 

Quand la personne dont on usurpe la voix est présente, la relation de substitution peut apparaître comme violente : ainsi Arletty s’adressant à son employée Marthe tout en parlant à sa place, ou Michel Drucker retraduisant de l'anglais à l'anglais la parole de Serge Gainsbourg à Whitney Houston. De manière plus perverse encore, on peut entendre Jacques Martin engager l'action d'un enfant en faisant mine de s'adresser au public, "Ce jeune homme qui va gagner la scène, sans que je lui dise, c'est Jean-Sébastien", et s'exposant à la réfutation butée de celui dont il prétend prédire les actions.

Dans certains cas, la limite entre les deux sujets, celui qui parle et celui à la place duquel on parle, devient floue. La substitution tend à l'identification. C'est le cas dans ce disque de relaxation destiné à être joué aux enfants sur le point de s'endormir. C'est assurément le cas des personnes possédées par le démon, tels que certains enregistrements certifiés authentiques nous les font entendre. C'est peut-être aussi le cas de ce fan de la chanteuse Britney Spears qui sur YouTube prend la parole non pas au nom de la chanteuse (comme le ferait son agent, un ami ou un avocat) mais littéralement à sa place, engagé dans un processus d'empathie et d'identification intense qui flirte (vrai ou faux) avec la schizophrénie. Mais qui parle pour et de qui quand ce marabout fait sa réclame à la troisième personne ?

Index
  • À une minute de silence

    Cécile Duflot et Claude Bartolone, extrait d’une séance de questions au gouvernement, 2014.

  • Arrête de faire le clown

    Doc Gynéco et Mustapha, extrait de l'émission On est pas couché, France 2, 2007.

  • Au nom de Dieu

    Scène d'intronisation, extrait du documentaire Die Grosse Stille de Philip Gröning, 2006.

  • Avec une brutalité énorme

    Gaël Quirante, SUD PTT 92, prise de parole à sa sortie du commissariat du 13ème après une action au Ministère du travail, 2019.

  • Baguette de merde

    Conversation entre amis, enregistrement personnel de Pierre-Yves Macé, 2011.

  • Bonheur national brut

    Nicolas Sarkozy, extrait du discours de remise des insignes de la Légion d'honneur à Dany Boon, 2009.

  • C'est ça la réalité

    Emmanuel Macron, présentation du "Plan Banlieues" à l’Élysée, 2018

  • C'est ça qu'ils ont élu

    Marie-Georges Buffet, extrait d'une soirée électorale, TF1, 2007.

  • C'est pas de moi, c'est René Char

    Nicolas Sarkozy, extrait du discours de remise des insignes de la Légion d'honneur à Dany Boon, 2009.

  • C'est quelqu'un qui euhm

    Ariane Dubillard à propos de son père, France Culture, 2013.

  • Ce que nous défendons

    Interruption du journal de 20h par la Coordination des intermittents et précaires, France 2, 2003.

  • Céleste n'oubliez pas

    Céleste Albaret, extrait de l'émission Portrait souvenir, ORTF, 1962.

  • Champions du monde

    Eugène Saccomano, extrait du commentaire de la finale de la coupe du monde de football, Europe 1, 1998.

  • Chokolomo chokolomo

    Pastor Steve Foss, extrait de la vidéo 1-55 Revival Explosion of Power, années 2000.

  • Cinq minutes d'expression

    Geoffroy Didier, extrait d'une intervention au meeting LGBT pour l'égalité, 2012.

  • D'abord je voudrais dire

    Emmanuelle Béart, extrait d'un entretien au journal télévisé de France 2, 1996.

  • Deze vrouwen

    Extrait du sermon d'un imam belge, vidéo YouTube, 2012

  • En plus i s'fout d'ma gueule

    Thierry Roland et Jean-Michel Larqué, extrait d'un enregistrement d'une discussion hors antenne, années 2000.

  • Et ! le terrorisme

    Extrait d'une formation à la prévention de la radicalisation, enregistrement personnel, 2016.

  • Gagner la scène

    Jacques Martin, extrait de l'émission L'École des fans, France 2, années 90.

  • How do you take their energy ?

    Enfant possédé, extrait du disque Okkulte Stimmen, Recordings of unseen intelligences, 1905–2007.

  • I wanna report a fight

    Maitre Joe Brandon, extrait de sa plaidoirie au procès Madden, 2012.

  • I was a typical Canadian

    Extrait d'une harangue djihadiste postée sur internet, 2014.

  • If only this one is ours

    Danez Smith, lecture publique du poème Dear White America, 2014.

  • Il est tombé assez amoureux

    Dominique Bagouet, extrait d'un entretien pour la télévision, 1988.

  • Il était ch'timi

    Discours lors d'un pot de départ en retraite, extrait du film Chers camarades de Gérard Vidal, 2004.

  • Il n'y a que des faux témoins

    Paule Thévenin, extrait du documentaire La Véritable Histoire d'Artaud le Momo de Gérard Mordillat et Jérome Prieur, 1993.

  • Je vis moi aussi

    Maître Rose-Marie Capitaine, extrait du documentaire Cours d'assises, crimes et châtiments d'Amal Moghaizel, 2008.

  • La balle ou la tasse

    Dialogue entre une neuro-psychologue et sa patiente, extrait du documentaire Voyage au centre du cerveau, France Culture, 2018.

  • La pomme-frite classique

    Claude Vega, extrait d'une imitation de Louis de Funès, années 50.

  • La Pomponnette

    Raimu, extrait du film La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, 1938.

  • Le nègre il t'emmerde

    Audrey Pulvar, extrait de la chronique A rebrousse poil', France Inter, 2010.

  • Leave Britney Alone

    Chris Crocker, extrait de la vidéo Leave Britney alone postée sur YouTube, 2007.

  • Les français sont étonnants

    Christophe Alévêque, extrait de l'émission On n'est pas couché, France 2, 2007.

  • Les gens

    Conversation de palier, enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2010.

  • Les problèmes de la jeunesse

    Daniel Balavoine, François Mitterrand, extrait du journal télévisé Midi2, Antenne 2, 1980.

  • Lowie me disait

    Claude Levi-Strauss et Georges Charbonnier, extrait des Grands Entretiens, France Culture, 1959.

  • Marthe

    Arletty, conversation extraite du disque Entretien avec Marc Laudelout, 1982.

  • My name is

    Malcom X, extrait de l'émission de télévision City Desk, 1963.

  • Notre conversation quotidienne

    Extrait de Clémence reprend la ferme, Les Pieds sur Terre, France Culture, 2021.

  • Notre rôle

    Aimé Césaire, extrait d'un discours au premier Congrès des écrivains et artistes noirs, La Sorbonne, 1956.

  • On joue tous les ballons

    Encouragements d’un entraîneur de rugby avant match, 2008.

  • On nous déportait en masse

    Jean-Paul Sartre, extrait d'une lecture de l'article La République du silence, 1944.

  • Pour que Spider y passe

    Enfant jouant, enregistrement de Camille Gaudou, 2016.

  • Rebelle sans cause

    Doc Gynéco et Laurent Ruquier, extrait de l'émission On est pas couché, France 2, 2007.

  • Répressif

    Roland Barthes, extrait de Comment vivre ensemble, cours au Collège de France, 1976-1977.

  • She loves this country

    Jeb Bush, Donald Trump, extrait d’un débat aux primaires du parti républicain, 2015.

  • Show me what you got

    Afida Turner, extrait de l'émission Carré VIIIP, TF1, 2011.

  • That's beautiful, Angelo

    Angelo Badalamenti, extrait du documentaire Another Place: Creating Twin Peaks de Charles de Lauzirika, 2007.

  • Va faire une carrière avec ça

    Nicolas Sarkozy, extrait du discours de remise des insignes de la Légion d'honneur à Dany Boon, 2009.

  • Vas-y, parle

    Sara Forestier, Sabrina Ouazani, Nanou Benhamou, Aurélie Ganito, extrait du film L'Esquive d'Abdellatif Kechiche, 2004.

  • Venez voir Ouattara Akué

    Ouattara Akué, extrait d'une émission sur Radio Cocody, 2012.

  • We want change

    Barack Obama, extrait d'un discours au New Hampshire, 2008.

  • We will meet again

    Reine Elizabeth II, allocution du 5 avril 2020.

  • We will prevail

    George W. Bush, allocution à la nation, 2003.

  • What would he say ?

    Bill Clinton, extrait d'un discours en hommage à Martin Luther King, 1993.

  • You are superb

    Michel Drucker, Whitney Houston et Serge Gainsbourg, extrait de l'émission Champs Elysées, Antenne 2, 1986.

Ils sont morts

Entraîneur de football à la mi-temps, enregistrement personnel, année inconnue.