A few words to sing
Luisa Castellani, extrait de Sequenza III de Luciano Berio, 1998.
Résidu | Élément de la parole considéré comme superflu ou secondaire : hésitations, balbutiements, râles, bruits de bouche, claquements de langue, respirations... Mais on peut aussi voir dans le résidu un élément qui résiste et marque la singularité d'une parole.
Quels éléments pourrait-on distinguer et qualifier de résiduels dans la parole ? Marques d’hésitations, bafouillages et bégaiements, respirations, tics de langage n’ayant aucune valeur sémantique, cheveux sur la langue, espacements excessifs, vitesses d’élocution non prévisibles, etc. Parfois relevant de la manifestation pathologique, ces éléments se posent comme parasites par rapport à un standard de communication que nous ne pouvons qu'imaginer. Une parole sans résidu serait une parole "transparente" et sans aspérités gênantes, dont la fonction (transmettre des informations) contraindrait la forme.
Trois thèmes structurent la collection : le parasite, l’accident et la ponctuation. La notion de résidu se situe dans un lieu paradoxal, entre l’intentionnel, l’accidentel, le jugement de valeur, ce qui paraît superflu et ce qui ne l’est pourtant pas.
Si je présente un tiers devant une assemblée, je dois être le plus précis possible. Dans cet extrait où une femme a pour tâche de présenter un chercheur , pour une raison difficile à cerner, on entend qu'elle est incapable de constituer un discours clair, lequel est parasité d’hésitations et de proliférations de "donc"; entre les tics de langage et le sauvetage phatique (écouter aussi Alors d’abord sur en fait, Suivre le mouvement des associations, Ces pulsions de haine affreuse).
Il peut aussi s’agir d’un défaut articulatoire, qu'il soit provoqué par l'ingestion de substances, comme l'acteur David Hasselhoff en conversation avec sa fille (écouter aussi If you actually go there, The biggest in the world), ou par une pathologie plus ou moins handicapante (écouter Ai-le-ron, Le côté, l’enfance, Tous les matins, Une chose enfantine, La pensée libérale pure et simple).
Mais ce résidu-parasite peut paradoxalement contribuer à dramatiser certaines interventions. C’est le cas d'Erwan, un participant à l’émission de télé-réalité Secret Story. Il peut permettre de faire patienter son interlocuteur quand on cherche ses idées, comme lors de cette expérience d’hypnose que le locuteur essaie de reconstruire en passant par de longs espacements, des claquements de langue et des onomatopées. Dans un entretien pour l'ORTF, Louis-Ferdinand Céline produit une continuité de parole en tapissant son propos de souffles et de murmures comme Brigitte Fontaine qui joue des mélodies et des timbres. La dimension de parasitage peut aussi être utilisée à dessein, c’est le cas de cet extrait dans lequel Charles Manson, lors d’un entretien, utilise la force de brouillage du résidu pour produire un discours volontairement incompréhensible.
Si je délivre un enseignement, il faut que je sois compris par le public auquel je m’adresse. Un intervenant enregistré à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales bafouille quelques dizaines de secondes, hésite, essaie de se reprendre en vain, et finit par craindre que son auditoire ne le prenne pour un "fou bizarre". L'effet comique de l'accident est le même si quelqu'un fait, publiquement, l’annonce d’un décès.
Le résidu peut également être provoqué par une certaine incompétence linguistique : le plasticien Cédric Anglaret a demandé à un locuteur russophone de lire à voix haute Mort à Crédit, le roman de Louis-Ferdinand Céline. Ce locuteur ne comprend pas ce qu'il est en train de lire, il essaie de réaliser une lecture du texte en ne conservant que les valeurs phoniques des termes, valeurs dont il ne peut fournir que des approximations. Articuler certains sons lui cause des difficultés car il ne peut, comme le ferait un locuteur francophone, anticiper la réalisation sonore de ce qu'il lit. Les critères de prononciation qu’il possède lui sont donnés principalement par la connaissance de sa propre langue, le russe (écouter aussi Veu wreu rah n'importe quoi).
Certains extraits nous ont amenés à poser la question du résidu comme ressource (voir aussi l'entrée Ponctuations). Le fait qu’un mot ou un son soit répété et traité de prime abord comme parasite (par rapport à un idéal syntaxique ou sémantique) n'empêche pas qu'il puisse aussi avoir une fonction d'appui ou de béquille dans le flux du parler. C'est le cas de l'artiste américain Dan Graham et sa parole fortement cadencée par la récurrence de la marque d'hésitation "ahm". Cette marque est toujours la même : elle est émise à la même intonation, et parfois sa répétition produit un effet rythmique : ce "ahm" obstiné apparaît — pour prendre une métaphore musicale — comme une basse continue, un bourdon d'où émerge la parole intelligible. Le résidu se fait ici substrat nécessaire de la parole, d’un point de vue pragmatique : de lui dépend la possibilité de parler. En effet, Dan Graham est un locuteur bègue. Il doit poser ce résidu pour que sa parole puisse se faire jour. C'est ce même "ahm" qu'utilise l'acteur Michael Richards pour trouver le ton et les mots exacts pour des excuses après un dérapage sur scène (réécouter Ces pulsions de haine affreuse).
Enfin, le résidu peut également constituer un matériau à divertissement (écouter aussi Y’a deux genres de mec, Moi, qu’est ce que j’ai comme blé ?). Il peut enfin être reconfiguré dans le camp des objets esthétiques, comme dans ce spectacle, dans cette pièce sonore, ou dans la Sequenza III pour voix de femme de Berio.
Luisa Castellani, extrait de Sequenza III de Luciano Berio, 1998.
Scène de rééducation, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, 2008.
Coralie Innelé, extrait de l'émission La Fabrique de l'Histoire, France Culture, 2009.
Annonce du décès du chanteur Carlos, France Bleu, 2008.
Pacific sound 3003, vidéo postée sur YouTube, 2014.
Catherine Chalier, extrait de l'émission Les Nouveaux chemins de la connaissance, France Culture, 2010.
Extrait d'une vidéo postée sur youtube, 2012.
Barbara Matijević, extrait de Purgatoire de Joris Lacoste, Théâtre national de la Colline, 2007.
Charles Manson, extrait d'un entretien avec Heidi Shulman, Today Show, 1987.
Présentation d'un conférencier, source inconnue,1999.
Frank Stella, extrait du film Painters Painting d'Emile de Antonio, 1972
Enfant posant une question, source et année inconnue.
Mike Tyson, extrait du film Tyson de James Toback, 2008.
Reaction video postée sur YouTube, 2008.
Dan Graham, extrait du film Dan Graham : Beyond d'Anat Ebgi and Aaron Brewer, 2009.
Michael Pitt, extrait du film Last Days de Gus Van Sant, 2005.
Serge Gainsbourg, extrait d’une interview, France Culture, 1982
Louis-Ferdinand Céline, extrait de l'émission Lectures pour tous, ORTF, 1957.
Malédiction d'une chamane Itako, enregistré au Grand Festival d'Osorezam, Japon, 1973.
Erwan, extrait de l'émission Secret Story, TF1, 2007.
Nicolas Couturier, extrait d'un récit d'hypnose, enregistrement de Joris Lacoste, 2005.
Récit de rêve, 2017
Helena Janeczek, extrait de l'émission La Grande table, France Culture, 2019.
Philippe Busquin, extrait de l'émission À Bout portant, RTBF, 1998.
Patrick Modiano, extrait de l'émission Un Siècle d’écrivain, France 3, 1996.
Extrait du journal de France Inter, 2008.
Gérard Lanvin, Benoît Poelvoorde, extrait de l'émission Le 23-15, France 2, 2002.
Michael Jackson, extrait du concert MJ & Friends à Munich, 1999.
Fernand Raynaud, extrait du sketch Ça eut payé (le paysan), années 60.
Lecture de Céline par un russe non francophone, extrait d'un enregistrement personnel de Cédric Anglaret, années 2000.
Joacine Katar Moreira, discours au Parlement portugais, 2019.
Message WhatsApp, 2020.
Clément Rosset, extrait de l’émission Hors Champs, France Culture, 2013.
Marc Kravetz, extrait de l'émission Les Matins, France Culture, 2007.
Philippe Bourgois, extrait d'une conférence à l'EHESS, extrait enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2007.
Bruno Karsenti, extrait de l'émission La Suite dans les idées, France Culture, 2006.
Michael Jackson, extrait d'un message laissé sur un répondeur téléphonique, 2009.
Michel Prades, extrait de la pièce sonore Mmmmmmmm de Boris Achour, 2000.
Catherine Lemorton lors du débat parlementaire sur la loi Hadopi 2, 2009.
Extrait d'un documentaire, Radio nationale croate, date inconnue.
Récit de rêve, 2020.
Gwenaël Morin, extrait d’un entretien pour Radio Amandiers, 2021.
Paul Dutton, extrait de l'album Mouth Pieces : Solo Soundsinging, 2000.
Constance Legris, député européenne Les républicains, Journal de France Culture, 2016.
Claudette, extrait du film Sans Adieu de Christophe Agou, 2017.
Françoise Sagan, extrait de l'émission Ramdam, FR3, 1993.
Brigitte Fontaine, extrait du journal télévisé 19/20, France 3, 2009.
Extrait d'un enregistrement personnel de Gauthier Tassart, 2007.
David Hasselhoff et Taylor-Ann Hasselhoff, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, années 2000.
Coluche, extrait du sketch C'est l'histoire d'un mec, 1974.
Extrait d'un entretien de Belinda Annaloro avec des enfants, 2014.
Extrait d'une vidéo postée sur youtube, 2012.
Annonce du décès du chanteur Carlos, France Bleu, 2008.
Message laissé sur un répondeur, 2014.
Reaction video postée sur YouTube, 2008.
Pacific sound 3003, vidéo postée sur YouTube, 2014.
Malédiction d'une chamane Itako, enregistré au Grand Festival d'Osorezam, Japon, 1973.
Catherine Lemorton lors du débat parlementaire sur la loi Hadopi 2, 2009.
Extrait d'un entretien de Belinda Annaloro avec des enfants, 2014.
Extrait d'un documentaire, Radio nationale croate, date inconnue.
Mike Tyson, extrait du film Tyson de James Toback, 2008.