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Neil Patrick Harris, extrait de la série How I met your mother, 2012.
Pli | Déviation du cours de la parole par digressions, détours, parenthèses ou citations, lui permettant de jouer de multiples qualités et de différents registres. Le pli produit un louvoiement qui tord le fil du discours sans jamais le briser.
Parler de pli suppose d'assimiler métaphoriquement la parole à une ligne continue, à un fil (on parle volontiers du fil d'un discours ou d'un récit) : une ligne continue qui serait non pas droite mais courbe, infléchie, ondulée, formant détours et méandres, passant par des types d'énonciations distincts, opérant des sauts qualitatifs entre différentes strates, mais sans solution de continuité.
Le pli se reconnaît à l'inflexion qu'il creuse dans l'intonation de la parole, signalant l'ouverture d'une parenthèse provisoire. Ainsi l'intonation descendante d'Alain Robbe-Grillet lorsqu'il énonce sa digression illustrative et didactique sur André Breton ; et l'allure légèrement renfrognée de la voix de Jean-Marie Straub s'illumine à l'évocation digressive d'un "ami d'enfance".
Outre qu'il favorise la digression thématique, le pli permet à un discours de revenir sur lui même et d'anticiper son devenir. Dans cet extrait du cours de Gilles Deleuze sur Leibniz, le plissement sert à mettre en relation différents moments d'une même démonstration philosophique étalée sur plusieurs séances. Une telle réversion des dimensions du temps fournit par ailleurs à l'acteur Jean-Claude Vandamme une théorisation adéquate de sa façon de parler, particulièrement tortueuse.
Certains plis étirent à l'envi le ou les niveaux secondaires, provoquant un sensible retardement de l'objet attendu du discours. Le tout début de Pour en finir avec le Jugement de Dieu d'Antonin Artaud se plaît à repousser le complément d'objet de la célèbre formule initiale "j'ai appris hier". Un journaliste chargé de lire une dépêche AFP livre à ses auditeurs un moment de contrition dont la stratégie sous-jacente est claire : faire désirer l'information. Dans cet extrait du film Assassins et voleurs de Sacha Guitry, le personnage joué par Darry Cowl se dérobe par plis successifs aux aveux que lui exige le tribunal. Le comique de ce genre de situation est accusé lorsque bégaiement et contrepèteries créent une multitude de fausses pistes toutes aussi incongrues les unes que les autres, comme chez l'humoriste Pierre Repp.
Le pli est à même de saturer la parole lorsque la hiérarchie des niveaux tend à se défaire et que les éléments périphériques prolifèrent jusqu'à l'excès. Amené à détailler les raisons d'une absence à une réunion de travail, un homme doit user de locutions du type "enfin bref" pour ne pas perdre son fil initial. Dans une question-fleuve posée par Marc Kravetz au romancier Eduardo Manet, invité des Matins de France Culture, les multiples parenthèses ne sont pas tant des digressions que des éléments qui re-parcourent le roman et complexifient le problème. Cas inverse, cette réponse disproportionnellement longue d'un candidat de l'École des fans à la question : "Tu n'es jamais puni à l'école ?"
Une jeune femme appelle l'hôtel où elle a passé la nuit pour savoir si on y a retrouvé la lingerie qu'elle croit avoir oubliée : le récit, a priori simple, se disloque par profusion de détails périphériques. La saturation par plis atteint son comble lorsqu'à l'incohérence des propos s'ajoute la vélocité du débit : interrogé sur ses liens avec Claude Berri, Jean-Luc Delarue livre à ses interlocuteurs médusés une parole "sans inconscient", née des méandres de son cerveau en pleine ébullition.
Dégagée du souci de maintenir un fil univoque, la parole plissée peut se complaire dans une libre dérive, faire louvoyer une conversation à mille lieux de son sujet d'origine sans que cela ne paraisse problématique : ainsi, dans cet extrait, nous pouvons entendre Françoise Sagan passer sans transition des chevaux de course à la détresse des chômeurs. Ailleurs, le même mot "vert" devient le support d'associations d'idées, quand l'envie de se raconter intimement devant son public conduit Barbara au plaisir de faire comme si elle se perdait dans ses propos.
Lorsque toutefois une telle dérive improvisée ne repose que sur la vacuité du parler pour ne rien dire, elle peut de bon droit provoquer l'ire de l'auditoire.
Tout aussi esseulé, quoique pas tout à fait insensible à ce qui l'environne, un soliloque capturé dans le métro parisien met en série une succession de référents disparates enfilés comme des perles. Le fait étant que le métro offre aux monologues des opportunités de changements d'adresse également propices à quitter son propos principal temporairement.
Enfin, c'est en tant que dérive intellectuelle continue, largement disciplinée toutefois, que se trouve représentée la parole de Jacques Lacan dans le film Télévision de Benoît Jacquot. Ici, le plissement est dramatisé comme manifestation d'une pensée en actes, ménageant comme il se doit ses pauses éloquentes, ses incises, ses citations d'autorité, ses focalisations, ses contrastes d'intonation et d'intensité, etc.
Neil Patrick Harris, extrait de la série How I met your mother, 2012.
Evelyne Dhéliat, extrait du bulletin météo de TF1, 2016.
Patrick Buisson, extrait de l’émission Répliques, 2016
Message sur un répondeur téléphonique 2013.
Darry Cowl, extrait du film Assassins et voleurs de Sacha Guitry 1957.
Extrait d'un tutoriel de cosmetic packaging posté sur Youtube, 2012.
Jean-Marc Lebihan, extrait d'une performance au festival d'Aurillac, 2013.
Message laissé sur le répondeur de Martin Juvanon de Vachat, 2017.
Serge Gainsbourg, extrait d’une interview, France Culture, 1982
Message laissé sur un répondeur téléphonique, 2008.
Antonin Artaud, extrait de la pièce radiophonique Pour en finir avec le Jugement de Dieu, enregistrée pour la RDF (mais non diffusée), 1947.
Conversation de fête, enregistrement d'Olivier Nourisson, années 2000.
Message laissé sur un répondeur, 2016
Maurice Pialat, extrait de l'émission Champs Contre-champs, ORTF, 1973.
Barbara, extrait d'un concert, année inconnue.
Message laissé sur le répondeur de Catherine Gilloire, 2011.
Barbara, extrait d'un concert à l'Olympia, Paris, 1978.
Pierre Repp, extrait du sketch Les Crêpes, années 60.
Jean-Claude Van Damme, extrait d'un entretien, 2001.
Jean-Luc Delarue, extrait d'un entretien sur RTL, 2009.
Jean-Louis Bory, extrait de l'émission Le Masque et la Plume, France Inter, 1963.
Christophe Tarkos, Le petit bidon, Centre Pompidou,1999.
Jacques Lacan, extrait du film Télévision de Benoît Jacquot, 1973.
Gilles Deleuze, extrait d'un cours sur Leibniz, 1986.
Henri Guillemin, extrait de l'émission En appel sur Blaise Pascal, RTS, 1972.
Alain Robbe-Grillet, extrait de l'émission Le Roman du nouveau roman, France Culture, 2007.
Scène de rue, extrait du documentaire Au bord du monde, Claude Drexel, Arte, 2014.
Récit de week-end, 2019
Michel Braud, extrait d'une soutenance de thèse en arts du spectacle, 2012.
Jérôme Mauche, message laissé sur le répondeur téléphonique de Nicolas Rollet, 2008.
Scène de commissariat, extrait du film Faits divers, Raymond Depardon, 1982.
Scène de métro, enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2010.
Aimé Jacquet, extrait du film Les yeux dans les bleus, 1998.
Roland Barthes, La Préparation du roman, Cours au Collège de France, 1978.
Rosa-Maria Gomes, extrait du film Maine Océan de Jacques Rozier, 1986.
Clément Rosset, extrait de l’émission Hors Champs, France Culture, 2013.
Marc Kravetz, extrait de l'émission Les Matins, France Culture, 2007.
Léon Blum, extrait d'un discours au Luna Park de Paris, 1936.
Conversation téléphonique, enregistrement de Nicolas Rollet, 2007.
Extrait de l’émission L’école des fans, Antenne 2, 1980.
Sophie Marceau, discours pour la remise de la Palme d'or, Festival de Cannes, 1999.
Françoise Sagan, extrait de l'émission Ramdam, FR3, 1993.
Extrait d'une émission sur RTL, 2008.
Scène dans le métro parisien, enregistrement personnel de Joëlle Gayot, 2013.
Jonathan Krohn, extrait d’une intervention à la Conservative Action Conference, 2009.