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Compression | Stratégies visant à réduire, raccourcir, comprimer, contracter une parole. La compression permet de gagner du temps ou du souffle. Elle crée des effets de vélocité, de brouillage, de bouillie ou de cryptage.

Compresser, c’est réduire le volume que prend quelque chose. Dans le domaine de la parole, on pourrait dire qu’un énoncé est compressé quand il nous apparaît plus court que ce à quoi nous nous attendions. La langue parlée est riche de stratégies visant à gagner du temps, à éviter les redondances, à abréger, à résumer, à synthétiser, à percuter. La compression est parfois aussi le résultat d’une précipitation, d’un trouble, d’une émotion, d’une idiosyncrasie. 

La collection s’est attachée à distinguer différents types de compressions, en fonction non seulement des procédés employés mais aussi de l’échelle du discours  sur laquelle ils s’exercent.

Compression par accélération du débit 

Une parole peut d’abord être compressée dans la mesure où le locuteur parle plus vite que la norme (environ 5 syllabes par seconde dans un grand nombre de langues), comme ici  M. Liochon interviewé pour Le petit rapporteur. Dans d’autres cas, c’est un effet de style, comme dans le rap double-time, les virelangues ou chez certains commissaires-priseurs étatsuniens, un défi comme dans les "speed-debates" organisés dans des universités américaines, ou la conséquence d’une grande émotion comme ici Jean-Luc Delarue

Compression articulatoire 

L’accélération du débit s’accompagne souvent d’une déformation de la prononciation, comme quand Michel Rocard est pris par le feu d'une explication très technique. On l’entend aussi dans cet extrait du film La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue, ou dans cette interview de Françoise Sagan expliquant elle-même que sa dactylo est obligée de ralentir la vitesse de défilement du magnétophone pour étirer sa parole et distinguer les mots.

Les mots sont mangés d’une manière similaire dans cette scène de répétition d’un atelier théâtre extraite du film L’Esquive, où une scène de Marivaux est dite à toute vitesse par un acteur dont le trouble produit un effet d’emboutissage des syllabes les unes dans les autres — de même dans cette lecture d’une lettre d’excuses devant un conseil de discipline. Dans cet entretien radiophonique, c’est la reprise des termes de l’intervieweur qui produit la compression articulatoire.

Ce phénomène est exacerbé jusqu’à lui donner une dimension ironique ou burlesque dans cette interview du criminel Charles Manson, dans cet extrait du film Hibernatus, ou encore dans cette performance de Dario Fo. De même, dans ce micro-trottoir de 1971, l’humoriste Jean Sas, marmonne et précipite une partie de ses questions, déconcertant son interlocuteur. 

La compression articulatoire trouve son expression la plus stylisée chez le poète Jaap Blonk, lequel expurge méthodiquement les voyelles et diphtongues d'une phrase répétée jusqu’à sa quasi-disparition. 

Compression morphologique 

La compression morphologique désigne des cas où des mots ou locutions sont littéralement abrégés. Ce type d’abréviations est très courant dans la parole ordinaire, que ce soient les syncopes (“d’bout”), les apocopes (“ciné”), les aphérèses (“bus”).

Ainsi, dans cette autre scène du film L'Esquive, le personnage produit les syncopes “t’ça”, “que’que”, “v’là”.

Quand Patrick Modiano cite le célèbre vers de Baudelaire, « Mais le vert paradis des amours enfantines », soit qu’il estime la référence littéraire suffisamment connue de son interlocuteur, soit qu'il recule soudain devant la répétition du mot “enfance”, il fait une apocope en amputant le mot "enfantines" de ses deux dernières syllabes.

D'autres types d'abréviations, très courantes dans la langue usuelle, en particulier dans certains jargons d’entreprise, sont les acronymes ou les sigles : ainsi dans ce document. Leur caractère cryptique peut être une ressource comique, comme dans cet extrait d'un spectacle de Grand Magasin ou dans cette parodie d'interview d'un analyste de la Bourse. Cela peut être aussi une ressource ludique, comme dans ce battle entre adolescentes.

Compression syntaxique

Une autre manière de compresser le discours, c'est de faire subir des élagages aux énoncés dans leur structure même : suppression des articles, des pronoms, des prépositions, et jusqu'à des pans entiers de l'énoncé. Ainsi l'asyndète est une figure qui réduit un énoncé en en supprimant les liens logiques et les conjonctions, comme chez le journaliste Jean-François Kahn emporté par sa verve.

Ce genre de compression syntaxique peut aussi relever du procédé poétique : on l’entend dans cette lecture d'Olivier Cadiot, ou de Jérôme Game :  les énoncés sont coupés comme arbitrairement, obligeant l'auditeur à reconstituer mentalement les moitiés manquantes, avec toutes les équivoques afférentes.

Compression référentielle

Relèvent peut-être également de la compression, à une autre échelle, les procédés par lesquels un mot ou un son expriment une action ou une émotion et se substituent ainsi à des pans entiers de discours. Ainsi les pronoms (personnels, démonstratifs, relatifs), d'une certaine manière, compressent les énoncés pour lesquels ils valent : ils peuvent être systématiquement décompressés à condition d'avoir connaissance du contexte. 

À ce titre, l’onomatopée est une stratégie de compression très efficace, par exemple pour ce témoin d’un accident de la route, dont le récit mime la rapidité et la brutalité de l’événement. Les poètes et les acteurs savent parfaitement jouer du pouvoir d’évocation et d’ambiguïté des onomatopées : ainsi le futuriste Marinetti dans son poème Battaglia di Adrianopoli ou Louis de Funès dans un autre extrait d'Hibernatus.

Dans un registre moins spectaculaire, un gardien d'immeuble compresse dans un petit sifflement l'exaspération qu'il éprouve vis-à-vis des occupants de l'immeuble dont il a la charge. On peut aussi penser que le sifflement vient ici prendre la place du mot qui ne lui vient pas aux lèvres et qu'il n'a pas le temps de chercher. Dans cet autre extrait, c'est l'esclaffement du locuteur qui exprime tout son sentiment vis-à-vis de la question posée. 

De nombreuses autres stratégies de compression référentielles ou rhétoriques pourraient ici être répertoriées. Un deuxième extrait d'Olivier Cadiot montre par exemple l'usage ironique qu'il fait du "et cetera" : compression de tout un implicite donné comme obvie mais ouvrant en réalité sur une multiplicité d'interprétations laissées à la fantaisie de l'auditeur. 

Enjeux symboliques de la compression

Un exemple particulier de compression référentielle nous est donné par certaines formules ou certains slogans : quand des femmes scandent "Oui Papa, oui Chéri, oui Patron, y'en a marre !",  c'est une partie importante des revendications féministes qui est compressée dans cette désignation synthétique du patriarcat.

De même, il arrive que dans un mot ou deux soit contenu tout un implicite très formalisé : c'est le cas du "oui" du mariage qui est une compression de tout le contrat matrimonial tel qu'il vient d'être énoncé par l'autorité étatique ou religieuse. Dans un extrait de la cérémonie de mariage de Diana Spencer et du Prince Charles, on peut ainsi entendre comment le "I will" prononcé par les époux est lourd de tout ce qu'il représente pour l'État britannique, la Royauté anglaise, l'Église anglicane, la famille Windsor, et le consentement d’un couple princier.

Index
  • Boom

    Steve Jobs, keynote de Mac OS X Tiger, 2008.

  • C'est pas la peine

    Extrait d'un reportage de Vincent Lapierre, Le média pour tous, 2019.

  • C'tait un sacré pommier

    Extrait d’un entretien dans le bocage normand, enregistrement de Perrine Davy, 2021.

  • Ce serait bien que tu articules

    Carole Franck, Osman Elkharraz, Sara Forestier, extrait du film L'Esquive d'Abdelatif Kechiche, 2004.

  • Cheval-mouvement

    Olivier Cadiot, extrait du texte Mr Solo, enregistrement personnel, années 80.

  • Compresseur de temps

    Grand Magasin, extrait du spectacle 5ème Forum International du Cinéma d'Entreprise, 2005.

  • Constantinopolitano

    Exercice de prononciation en portugais, enregistrement personnel, 2013.

  • Dans un petit magnétophone

    Françoise Sagan, extrait de l'émission Midi2, Antenne 2, 1985.

  • Der Minister

    Jaap Blonk, extrait du disque Flux de Bouche, 1993.

  • Do you feel blame

    Charles Manson, extrait d'un entretien avec Heidi Shulman, Today Show, 1987.

  • E.P.Q.

    Pierre Guyotat, extrait d'un enregistrement personnel, 1976.

  • Et nous on est tout petits

    Témoignage d’un adolescent, Belgique, extrait de l’émission “Les pieds sur Terre”, France Culture, 2003.

  • Faire baguette magique

    Jean-François Kahn, extrait de l'émission Mots croisés, France 2, 2008.

  • Formation élémentaire

    Entretien avec un militaire, extrait de l'émission Sur les docks, France Culture, 2008.

  • Hooo !

    Appel de bergers, extrait de Le berger, la stagiaire et les moutons de Robin Hunzinger, Arte Radio, 2005.

  • Hot like a kettle

    Dizzy Rascal, extrait a cappella de Jus' a Rascal, 2003.

  • I live for this

    Kristina Rose et Manuel Ferrara, extrait du film Kristina Rose Is Slutwoman, 2011.

  • I yield my time, fuck you !

    Intervention lors d’une visioconférence de la police de Los Angeles, 2020.

  • I, Charles Philip Arthur George

    Msg l'évêque de Canterbury, Charles Windsor et Diana Spencer, extrait de la cérémonie de mariage du prince Charles et Diana Spencer, 1981.

  • If you actually go there

    Michael Pitt, extrait du film Last Days de Gus Van Sant, 2005.

  • Je bavarde toujours

    M. Liochon, extrait d'une interview, Le petit rapporteur, TF1, 1975.

  • Lâcher les élastiques

    Jean-Luc Delarue, extrait d'un entretien sur RTL, 2009.

  • Les gens

    Conversation de palier, enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2010.

  • Like a pinball

    Felicia Pearson, extrait de la série The Wire, 2007.

  • Loof and let dime

    Robert Wilson, extrait d'une lecture de poèmes de Christopher Knowles, 1999.

  • Look at that big change

    Scène de coucher du soleil, vidéo postée sur Youtube, 2012.

  • Mes chiffres

    Michel Rocard, extrait de l'émission La Marche du siècle, FR3, 1996.

  • Nine seventy-five

    John Korrey, extrait d'une vente aux enchères, extrait du DVD Chant of a Champion, 2007.

  • On les trouve partout

    Serge Aron, extrait d'une conférence à la Cité des Sciences et de l'Industrie, 2011.

  • One day I was baking something

    Extrait du témoignage d’une personne atteinte de la maladie de Huntington, 2016.

  • Paf !

    Louis de Funès, extrait du film Hibernatus d'Édouard Molinaro, 1969.

  • Passe, passe

    Entretien avec un habitant du Val-Fourré, extrait de l'émission Les Pieds sur terre, Franc Culture, 2008.

  • Reality hits you hard

    Extrait d'un reportage, vidéo postée sur YouTube, 2011.

  • Sapeur-chapeau

    Louis de Funès, extrait du film Hibernatus d'Édouard Molinaro, 1969.

  • Sauf sur un point

    Marc Kravetz, extrait de l'émission Les Matins, France Culture, 2007.

  • Shut up Cartman

    Extrait de la série South Park, saison 1, épisode 5, 1997.

  • Si je comprends bien

    Jean Sas, extrait de canular, 1971.

  • Siete cinco cinco

    Extrait de The Legendary Tape Recordings Vol.2 par Walter Gavitt Ferguson, année inconnue. 

  • Siplaît monsieur

    Litanie d'un mendiant, enregistrement personnel, 2019.

  • Speed debate

    Joutes oratoires, demi-finales du Samford Tournament, 2010.

  • Tam ! Boum boum !

    Filippo Tommaso Marinetti, extrait du poème Battaglia di Adrianopoli, 1924.

  • Tchetyrnatsat let

    Extrait du verdict du procès Khodorkovski-Lebedev, 2010.

  • That's what he said

    Extrait du film De beaux lendemains d'Atom Egoyan, 1997.

  • Tu viens avec moi ?

    Sara Forestier, Osman Elkharraz, extrait du film L'Esquive d'Abdelatif Kechiche, 2004.

  • Tutta la merda de foeri

    Dario Fo, extrait de la performance La fame dello Zanni, Rai Due, années 80.

  • Un point c’est tout

    Claudette, extrait du film Sans Adieu de Christophe Agou, 2017.

  • What is compromise ?

    Eartha Kitt, extrait du documentaire All by Myself: The Eartha Kitt Story, 1982.

  • Y'a deux genres de mecs

    Coluche, extrait du sketch C'est l'histoire d'un mec, 1974.

  • Y'en a marre

    Slogan féministe, années 70.

  • Y’a trop d’émotion

    Rod Paradot, discours de remerciement pour la remise du meilleur espoir masculin, cérémonie des Césars, 2016.

Y’a trop d’émotion

Rod Paradot, discours de remerciement pour la remise du meilleur espoir masculin, cérémonie des Césars, 2016.

Et nous on est tout petits

Témoignage d’un adolescent, Belgique, extrait de l’émission “Les pieds sur Terre”, France Culture, 2003.