Notice

Compression | Stratégies visant à réduire, raccourcir, comprimer, contracter une parole. La compression permet de gagner du temps ou du souffle. Elle crée des effets de vélocité, de brouillage, de bouillie ou de cryptage.

Ce que nous avons appelé compression est un phénomène de parole que l'on remarque quand un énoncé entendu nous semble plus court que ce à quoi nous nous attendions. La langue parlée est remplie de stratégies visant à gagner du temps, à éviter les redondances, à faire bref

La collection s’est attachée à distinguer différents types de compressions, en fonction non seulement des procédés employés mais aussi de l'unité de langage sur laquelle ils portent, c'est-à-dire de l'échelle du discours.

Compression par accélération du débit

Ce premier niveau de compression est le plus simple : la parole est compressée simplement dans la mesure où le locuteur parle beaucoup plus vite que la norme, que ce soit par effet de style comme dans le rap double-time ou chez certains commissaires-priseurs étatsuniens, par défi comme dans les "speed-debates" des universités américaines, ou pris comme Michel Rocard par le feu d'une explication, ou sous le coup d’une violente émotion (sic) – (écouter aussi Je bavarde toujours).

Compression articulatoire

L’accélération du débit s’accompagne souvent d’une déformation de la prononciation des mots : c’est ce qu’on entend dans cet extrait du film La BM du Seigneur de Jean-Charles Hue, ou dans cette interview de Françoise Sagan expliquant elle-même que la dactylo est obligée de ralentir la vitesse de défilement du magnétophone pour étirer sa parole et distinguer les mots.

On entend les mots mangés de la même manière dans un extrait tiré du film L’Esquive, où une scène de Marivaux est dite à toute vitesse par un acteur dont la timidité (la volonté d'être entendu le moins possible) produit un effet d’emboutissage des syllabes les unes dans les autres (voir aussi La nécessité de vivre ensemble).

Dans ce court extrait d'une interview du criminel Charles Manson, dans cet extrait du film Hibernatus avec Louis De Funès, ou encore dans cette performance de Dario Fo, on entend comment la compression des phonèmes est exagérée jusqu’à lui donner une dimension parodique burlesque. Jean Sas, en feignant de bafouiller et de précipiter une partie de ses questions, déconcerte son interlocuteur dans ce micro-trottoir. 

C’est le poète Jaap Blonk qui stylise la compression de façon exemplaire en expurgeant méthodiquement les voyelles et diphtongues d'une expression donnée.

Compression morphologique

La compression morphologique désigne des cas où des mots ou locutions sont littéralement abrégés. Les abréviations les plus courantes sont les syncopes (v’là), les apocopes (ciné), les aphérèses (bus). On en entend dans un rap de Seth Gueko, ainsi que dans une autre scène du film L'Esquive. De même lorsque Patrick Modiano cite le célèbre vers de Baudelaire, « Mais le vert paradis des amours enfantines » : soit qu’il estime la référence littéraire suffisamment connue de son interlocuteur, soit qu'il recule soudain devant la répétition du radical enfan-, il ampute le mot "enfantines" de ses deux dernières syllabes.

Ce genre de compression est aussi un procédé littéraire : dans les lectures du poète Jérôme Game, les énoncés sont arbitrairement coupés, souvent au milieu de mots, obligeant l'auditeur à reconstituer mentalement les moitiés manquantes, avec toutes les équivoques afférentes.

D'autres types d'abréviations, très courantes dans la langue usuelle, sont de l'ordre de l'usage d'acronymes ou de sigles, comme dans cet extrait d'un spectacle de Grand Magasin, dans cette parodie d'interview d'un analyste de la Bourse ou, de façon plus absurde encore, dans cette vidéo trouvée sur YouTube.

Compression syntaxique

Une autre manière de compresser le discours, c'est de faire subir des élagages aux énoncés dans leur structure même : suppression des articles, des pronoms, des prépositions, et jusqu'à des pans entiers de l'énoncé. Ainsi l'asyndète est une figure qui réduit un énoncé en en supprimant les liens logiques et les conjonctions, comme chez le journaliste Jean-François Kahn emporté par sa verve

Ce genre de compression syntaxique peut aussi relever du procédé poétique : on l’entend dans cette lecture d'Olivier Cadiot.

Sur le plan syntaxique toujours, l’onomatopée est une stratégie de compression très efficace, par exemple pour ce témoin d’un accident de la route, dont le récit mime la rapidité et la brutalité de l’événement. Les poètes et les acteurs savent parfaitement jouer du pouvoir d’évocation et d’ambiguïté des onomatopées : ainsi le futuriste Marinetti dans son poème Battaglia di Adrianopoli, Louis de Funès dans un autre extrait d'Hibernatus ou encore Jacques Villeret dans le film La Soupe aux choux.

Compression rhétorique

Relèvent peut-être également de la compression, à une autre échelle, les procédés par lesquels un mot, un son ou une proposition vient remplacer des pans entiers de discours. Un gardien d'immeuble compresse dans un sifflement l'exaspération qu'il éprouve vis-à-vis des occupants de l'immeuble dont il a la charge. On peut aussi penser que le sifflement vient prendre la place du mot qui ne lui vient pas aux lèvres et qu'il n'a pas le temps de chercher, comme dans cet extrait où en simulant le bruit d'une alarme le locuteur produit un certain effet théâtral en même temps qu'une illustration adéquate. Dans cet extrait de show télévisé, le long gémissement d'un homme supplante les mots et tient lieu de réponse à la déclaration bouleversante qu’il vient d’entendre.

Ainsi les pronoms (personnels, démonstratifs, relatifs), d'une certaine manière, compressent les énoncés pour lesquels ils valent : ils peuvent être systématiquement décompressés à condition d'avoir connaissance du contexte. De nombreuses stratégies rhétoriques pourraient ici être répertoriées. Un autre extrait d'une œuvre d'Olivier Cadiot montre par exemple l'usage ironique qu'il fait du "et cetera" : compression de tout un implicite donné comme obvie mais ouvrant en réalité sur une multiplicité d'interprétations laissées à la fantaisie de l'auditeur. 

À l'inverse, il arrive que dans un mot ou deux soit contenu tout un implicite très formalisé : c'est le cas du "oui" du mariage qui est une compression de tout le contrat matrimonial tel qu'il vient d'être énoncé par l'autorité étatique ou religieuse. Dans un extrait de la cérémonie de mariage de Diana Spencer et du Prince Charles, on peut ainsi entendre comment le "I will" prononcé par les époux est lourd de tout ce qu'il représente pour l'État britannique, la Royauté anglaise, l'Église anglicane, la famille des Windsor, et sans doute aussi l'amour du couple princier. On peut comparer ce moment à celui qui suit, où les contractants sont tenus de répéter mot à mot les termes de l'engagement.

Un autre exemple de compression rhétorique nous est donné par certaines formules ou certains slogans : quand des femmes scandent "Oui Papa, oui Chéri, oui Patron, y'en a marre !",  c'est une partie importante des revendications féministe qui est compressée dans cette désignation ironique du patriarcat.

Index
  • Babtou

    Seth Gueko, extrait du morceau Les mains sales de Brasco, 2008.

  • Babylogue

    Babil, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, 2009.

  • Boom

    Steve Jobs, keynote de Mac OS X Tiger, 2008.

  • Boxe

    Isidore Isou, extrait du disque Poèmes lettristes 1949-1999, 1999.

  • C'est pas la peine

    Extrait d'un reportage de Vincent Lapierre, Le média pour tous, 2019.

  • Ce serait bien que tu articules

    Carole Franck, Osman Elkharraz, Sara Forestier, extrait du film L'Esquive d'Abdelatif Kechiche, 2004.

  • Chauffe-eau

    Conversation entre amis, extrait d'un enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2008.

  • Cheval-mouvement

    Olivier Cadiot, extrait du texte Mr Solo, enregistrement personnel, années 80.

  • Compresseur de temps

    Grand Magasin, extrait du spectacle 5ème Forum International du Cinéma d'Entreprise, 2005.

  • Constantinopolitano

    Exercice de prononciation en portugais, enregistrement personnel, 2013.

  • Dans un petit magnétophone

    Françoise Sagan, extrait de l'émission Midi2, Antenne 2, 1985.

  • Déboucher

    Entretiens avec des coureurs cyclistes, extrait d'une émission télévisée' années 60.

  • Deinococcus radiodurans

    Adrienne Kisch, extrait de l'émission La Méthode scientifique, France Culture, 2019.

  • Der Minister

    Jaap Blonk, extrait du disque Flux de Bouche, 1993.

  • Do you feel blame

    Charles Manson, extrait d'un entretien avec Heidi Shulman, Today Show, 1987.

  • E.P.Q.

    Pierre Guyotat, extrait d'un enregistrement personnel, 1976.

  • Et nous on est tout petits

    Témoignage d’un adolescent, Belgique, extrait de l’emission “Les pieds sur Terre”, France Culture, 2003

  • Faire baguette magique

    Jean-François Kahn, extrait de l'émission Mots croisés, France 2, 2008.

  • Flux de bouche

    Jaap Blonk, extrait de l'album Flux de Bouche, 1993.

  • Formation élémentaire

    Entretien avec un militaire, extrait de l'émission Sur les docks, France Culture, 2008.

  • Hebs

    Rim-K, extrait a capella de Banlieue de Booba, 2005.

  • Hooo !

    Appel de bergers, extrait de Le berger, la stagiaire et les moutons de Robin Hunzinger, Arte Radio, 2005.

  • Hot like a kettle

    Dizzy Rascal, extrait a cappella de Jus' a Rascal, 2003.

  • I live for this

    Kristina Rose et Manuel Ferrara, extrait du film Kristina Rose Is Slutwoman, 2011.

  • I yield my time, fuck you !

    Intervention lors d’une visioconférence de la police de Los Angeles, 2020.

  • I, Charles Philip Arthur George

    Msg l'évêque de Canterbury, Charles Windsor et Diana Spencer, extrait de la cérémonie de mariage du prince Charles et Diana Spencer, 1981.

  • If you actually go there

    Michael Pitt, extrait du film Last Days de Gus Van Sant, 2005.

  • Ik vind het niet leuk

    Extrait d’un cours de langue, YouTube, 2010

  • J'ai collé mes frelots

    MC Jean Gab'1, extrait a capella J'emmerde, 2002.

  • J'ai Youyou

    Afida Turner, extrait de l'émission Les Anges de la téléréalité, NRJ12, 2010.

  • Je bavarde toujours

    M. Liochon, extrait d'une interview, Le petit rapporteur, TF1, 1975.

  • Je vous remercie de vous

    Barbara, extrait d'un concert à l'Olympia, Paris, 1978.

  • Jouer le tir

    Commentaire lors du championnat du monde de handball féminin, RMC, 2017

  • Lâcher les élastiques

    Jean-Luc Delarue, extrait d'un entretien sur RTL, 2009.

  • Les gens

    Conversation de palier, enregistrement personnel de Nicolas Rollet, 2010.

  • Like a pinball

    Felicia Pearson, extrait de la série The Wire, 2007.

  • Loof and let dime

    Robert Wilson, extrait d'une lecture de poèmes de Christopher Knowles, 1999.

  • Look at that big change

    Scène de coucher du soleil, vidéo postée sur Youtube, 2012.

  • Lüüüül lüüüül

    Jacques Villeret et Louis de Funès, extrait du film La Soupe aux choux de Jean Girault, 1981.

  • Mes chiffres

    Michel Rocard, extrait de l'émission La Marche du siècle, FR3, 1996.

  • Nine seventy-five

    John Korrey, extrait d'une vente aux enchères, extrait du DVD Chant of a Champion, 2007.

  • On les trouve partout

    Serge Aron, extrait d'une conférence à la Cité des Sciences et de l'Industrie, 2011.

  • One day I was baking something

    Extrait du témoignage d’une personne atteinte de la maladie de Huntington, 2016.

  • Paf !

    Louis de Funès, extrait du film Hibernatus d'Édouard Molinaro, 1969.

  • Passe, passe

    Entretien avec un habitant du Val-Fourré, extrait de l'émission Les Pieds sur terre, Franc Culture, 2008.

  • Reality hits you hard

    George Lindell, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, 2011.

  • Sapeur-chapeau

    Louis de Funès, extrait du film Hibernatus d'Édouard Molinaro, 1969.

  • Sauf sur un point

    Marc Kravetz, extrait de l'émission Les Matins, France Culture, 2007.

  • Shut up Cartman

    Extrait de la série South Park, saison 1, épisode 5, 1997.

  • Si je comprends bien

    Jean Sas, extrait de canular, 1971.

  • Siete cinco cinco

    Extrait de The Legendary Tape Recordings Vol.2 par Walter Gavitt Ferguson, année inconnue. 

  • Siplaît monsieur

    Litanie d'un mendiant, enregistrement personnel, 2019.

  • Speed debate

    Joutes oratoires, demi-finales du Samford Tournament, 2010.

  • Tam ! Boum boum !

    Filippo Tommaso Marinetti, extrait du poème Battaglia di Adrianopoli, 1924.

  • Tchetyrnatsat let

    Extrait du verdict du procès Khodorkovski-Lebedev, 2010.

  • That's what he said

    Extrait du film De beaux lendemains d'Atom Egoyan, 1997.

  • Tu viens avec moi ?

    Sara Forestier, Osman Elkharraz, extrait du film L'Esquive d'Abdelatif Kechiche, 2004.

  • Tutta la merda de foeri

    Dario Fo, extrait de la performance La fame dello Zanni, Rai Due, années 80.

  • Un point c’est tout

    Claudette, extrait du film Sans Adieu de Christophe Agou, 2017.

  • What is compromise ?

    Eartha Kitt, extrait du documentaire All by Myself: The Eartha Kitt Story, 1982.

  • Y'a deux genres de mecs

    Coluche, extrait du sketch C'est l'histoire d'un mec, 1974.

  • Y'en a marre

    Slogan féministe, années 70.

  • Y’a trop d’émotion

    Rod Paradot, discours de remerciement pour la remise du meilleur espoir masculin, cérémonie des Césars, 2016.

Siete cinco cinco

Extrait de The Legendary Tape Recordings Vol.2 par Walter Gavitt Ferguson, année inconnue.