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Mahmoud Darwich, lecture d'un poème, extrait du documentaire “Mahmoud Darwich et la terre comme langue” de Simone Bitton, 1998
Combinaison | Qualité d’une parole qui avance en recomposant et réorganisant les éléments qui la constituent. Tout à la fois répétition et variation, reprise et déclinaison, combine et combinatoire, la combinaison est une ressource poétique autant que rhétorique.
Un exemple classique de combinaison nous est donné par Molière dans cette fameuse scène du Bourgeois Gentilhomme. Monsieur Jourdain veut écrire dans une lettre les paroles ‘belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour” mais “tournées à la mode, bien arrangées comme il faut”. Il demande au maître de philosophie de lui “dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre”, tout en insistant qu’il ne veut que “ces seules paroles-là dans le billet” : l’aspect fini et exclusif de l’ensemble des termes ne laisse au maître de philosophie d’autre possibilité que de les recombiner de toutes (ou presque) les façons possibles.
Le langage est par essence combinatoire : parler consiste au fond à combiner un ensemble fini d’éléments, en particulier le lexique dont on dispose à un moment donné. Ce n’est que quand cet ensemble d’éléments se trouve, pour diverses raisons, restreint à un petit nombre d’éléments, que le phénomène de la combinaison devient apparent. Ainsi quand une personne s’adresse à un chien avec les seules instructions “couché” “assis” et “debout”.
Mais on peut combiner d’autres éléments que les mots. Dans cet enregistrement, deux bébés dialoguent au moyen exclusif de la seule syllabe “da”, laquelle est affectée de différentes intonations combinées, montantes et descendantes. C’est cette combinaison intonative qui leur permet de mimer la forme de la conversation.
Dans cet autre extrait, une enfant française combine non pas des mots à proprement parler mais des sons inspirés de l’idée qu’elle se fait de la langue anglaise: la combinaison de ces sons lui permet d’inventer un charabia original, de la même manière presque que le poète dadaïste Raoul Hausmann en son temps.
Les exemples les plus frappants de combinaisons sont ceux où l’on trouve un discours composé exclusivement de permutations d’un tout petit nombre d’éléments.
La stratégie combinatoire la plus mathématique consiste à épuiser systématiquement tous les agencements possibles. C’est ce que fait, trois siècles après Molière, le poète Brion Gysin avec ses Permutation poems, dont le premier, I am that I am, est le plus connu : il combine les cinq mots de cet énoncé biblique de toutes les façons pour aboutir à un poème de 5x4x3x2x1=120 vers (notons que Gysin ne déduit pas les doublons produits par le fait que les éléments “I” et “am” sont répétés dans l’énoncé de départ).
La combinaison d’un tout petit nombre d’éléments est parfois utilisée comme technique conceptuelle. C’est ce qu’on peut entendre dans cette conférence de presse de Donald Rumsfeld où l’alors Secrétaire à la Défense croise les deux termes “known” and “unknown” pour ébaucher quelque chose comme une épistémologie personnelle : il y a ce que l’on sait que l’on sait ; il y a ce qu’on sait qu’on ne sait pas ; et il y a ce qu’on ne sait pas qu’on ne sait pas (notons que Rumsfeld n’épuise pas ici la combinaison puisqu’il néglige le quatrième terme de la combinaison, à savoir ce qu’on ne sait pas que l’on sait).
Notre collection montre d’autres exemples de ce genre de permutations fermées, mais qui ne manifestent pas de volonté d’épuisement : pour une raison liée à son activité, le locuteur dispose dans ces cas d’un nombre limité de mots dont l’usage dépend d’une action extérieure (voir l’entrée Indexations). Ainsi quand on s’amuse à nommer les couleurs qui apparaissent sur l’écran du jeu Guitar Hero ; qu’on joue à Les Chiffres et les lettres, ou qu’on commente un match de foot en nommant un à un les joueurs au moment où ils ont le ballon.
Les combinaisons les plus courantes sont néanmoins celles où un nombre fini d’éléments se voit redistribué tout en se mélangeant à d’autres termes de circonstance. Plus la récurrence des mêmes termes est espacée, plus la combinaison est ouverte.
Parmi les combinaisons ouvertes mais encore serrées, on trouve des situations où le discours du locuteur s’appuie principalement sur un petit nombre de mots ou d’expressions qui ressortent régulièrement et dans le désordre : ainsi de ces deux personnes (Cherche chève, Allez poulette) qui s’adressent ici encore à un chien (l'adresse animale est décidément propice aux combinaisons). Ou encore cet homme pris d’une crise de panique dans un avion.
Dans des documents comme Mer agitée des pluies, Nine seventy five, Calculer une intégrale, ou I dupli u stranu, l’activité professionnelle du locuteur (respectivement présentatrice de la météo marine, commissaire priseur, professeur de mathématiques, coach de gym) comprend le recours obligatoire à un certain nombre de termes experts qui reviennent régulièrement baliser le discours, le ponctuer, le rythmer. Le langage naturel vient délier (au sens culinaire) la répétition obligée de ces termes.
Dans les exemples ci-dessus, les effets combinatoires semblent purement fortuits. Mais la combinatoire peut également être une ressource rhétorique volontaire. C’est le cas des documents Tapiner dans le 9.2, Des démons, Filles et femmes du monde entier, dans lesquels on entend comment la récurrence d’un petit nombre de mots et leur combinaison permettent d’insister, de reformuler, de convaincre ou d’intimider. De façon plus spectaculaire encore, le commentateur de foot catalan Josep Maria Puyal célèbre un but de Messi en improvisant comme un poème moderniste.
En poésie, on l’a vu avec Brion Gysin, la permutation est une technique couramment utilisée dans les avant-gardes, en particulier constructivistes. C’est sans doute Gertrude Stein qui l’a le plus pratiquée et systématisée. On peut l’entendre aussi, et cela même sans comprendre l’arabe, dans ce poème récité par Mahmoud Darwich ou encore chez Christophe Tarkos.
On retrouve souvent ces mêmes effets et ces mêmes stratégies chez les hypnotistes, que ce soit en français ou en anglais. La rhétorique de l’induction hypnotique s’appuie en effet principalement sur un jeu rythmique de répétitions-variations qui permet à la fois d’assoupir la vigilance du patient tout en faisant insensiblement progresser le discours.
Dans certains cas particuliers, la combinaison se fait au niveau non pas des mots mais des phonèmes, syllabes, voyelles ou consonnes : c’est le cas de Raymond Devos avec les syllabes “sou” et “su”, de ce virelangue qui combine les allitérations en b, de Gherasim Luca dans son célèbre poème Passionnément, ou encore de Raoul Hausmann.
Dans un certain nombre de combinaisons ouvertes, la parole s’organise autour d’un seul élément qui se voit répété, décliné ou conjugué avec d’autres termes. Il est le point d’appui du discours sur lequel viennent s'agréger toutes sortes de variations.
C'est souvent dans un but d’insistance. Ainsi dans cette interview de Louis-Ferdinand Céline, la répétition des termes “lourd” et “lourdeur” intervient à chaque fois dans un nouvel agencement qui le relance et lui donne un nouveau poids. D’une manière similaire, ce coach allemand de développement personnel articule tout son discours autour du terme “problème”, en en faisant tour à tour le sujet ou le prédicat de ses énoncés. De même dans ce monologue illuminé du métro avec le mot “clochard”.
Un phénomène particulier de ces combinaisons orbitales : la parole tourne autour d’un seul terme qui varie dans ses formes grammaticales (qu’en rhétorique on appelle “polyptotes”). Par exemple ce message téléphonique, où se combinent les énoncés “il m’a appelé, “je vais le rappeler”, “je l’ai appelé”, “je dois le rappeler”, “pour le rappeler”, “merci de m’avoir rappelé”. On entend un usage similaire des polyptotes dans cet autre poème de Christophe Tarkos, ou encore chez Allen Ginsberg.
Il arrive que ce soit l’incompréhension ou les erreurs à répétition d’un des participants qui produisent des combinaisons involontaires.
Cela peut se passer dans le cadre d’un dialogue. Ainsi Fernand Raynaud, dans ce disque édité à l’attention de ses amis, qui s’amuse malicieusement de l’incapacité qu’a le dénommé Jacky Bernard à présenter son numéro. On retrouve presque exactement la même situation (la malice en moins) dans ce dialogue téléphonique en Estonie.
Dans la veine “conceptualisation politique” de Donald Rumsfeld cité plus haut, quoique d’une logique moins rigoureuse, on trouve cet extrait d’un discours de Nicolas Sarkozy.
Mais c’est le comique Pierre Repp qui reste le maître et le génie de cette (fausse) maladresse, en reprenant, mixant et combinant de façon vertigineuse les mots et les expressions, les sonorités et les syllabes.
Mahmoud Darwich, lecture d'un poème, extrait du documentaire “Mahmoud Darwich et la terre comme langue” de Simone Bitton, 1998
Séance de dressage, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, 2012.
Appel de labour en Vendée, extrait du disque Voix du Monde : une anthologie des expressions orales, 1986.
Jean-Luc Godard, extrait d'un live Instagram, 2020.
Improvisation d’un enfant de six ans, enregistrement personnel, 2019.
Test radio, extrait d'un enregistrement pour le film Tongue Twisters d'Érik Bullot, 2007.
Message posté sur Youtube, 2019.
Yves, extrait du film Le Moindre Geste de Fernand Deligny, 1962-1971.
Leçon de mathématiques, extrait d'une vidéo postée sur YouTube, 2008.
Criée sur un marché, 2019.
Noëlle Obscarskas, vidéo postée sur YouTube en 2012.
Olivier Cadiot, extrait du texte Mr Solo, enregistrement personnel, années 80.
Extrait du jeu télévisé Des chiffres et des lettres, Antenne 2, 1972.
Séance de dressage, extrait d'une vidéo sur YouTube.
Vidéo d’un consommateur, YouTube, 2019.
Dialogue entre bébés, vidéo postée sur YouTube, 2012.
Phil Leray, extrait d’une vidéo d’hypnose, YouTube, 2014
Extrait d'un disque d'hypnose, année inconnue.
Scène de métro, enregistrement de Martin Juvanon du Vachat, 2016.
Raymond Devos, extrait du sketch « Ouï-dire », 1979
Guy "Bear" Vasquez, vidéo postée sur YouTube, 2010.
Annie Johnston, extrait de l’enregistrement d’Alan Lomax, Bird Imitations, île de Barra (Écosse), 1951.
Sebastian Dieguez, Florian Delorme, extrait de L'invité de Matins, France Culture, 2018.
Raymond Devos, extrait du sketch « Sens dessus dessous », 1979
Idi Amin Dada, extrait d’un conseil des ministres, années 70.
Message laissé sur le répondeur de Martin Juvanon de Vachat, 2017.
Jean-Marie Massou, extrait de Message pour les témoins de Jéhova, 2007.
Jacques Martin, extrait de l'émission L'École des fans, France 2, années 90.
Démarchage téléphonique, enregistrement posté sur Soundcloud, 2016.
Scène de panique dans l'avion, vidéo postée sur YouTube, 2009.
Brion Gysin, extrait de la compilation Mektoub: Recordings 1960-81, 1996
Paula White, extrait d’un prêche en soutien au dépouillement lors de l’élection présidentielle étasunienne, 2020.
Protestation d'un homme menacé par la police, YouTube, 2014.
David Lynch, extrait d’une interview avec Hikari Takano, 2006
Louis-Ferdinand Céline, extrait de l'émission Lectures pour tous, ORTF, 1957.
Jérôme, extrait de l'émission Radio Tisto, l’émission des jeunes de l’hôpital de jour d’Antony, Radio Libertaire, 2020.
Séance vidéo d'Emotional Freedom Technique, YouTube, 2013
Gamers jouant à Guitar Hero, vidéo postée sur YouTube, 2012.
Scène de manifestation à Alger, vidéo YouTube, 2019.
Christophe Tarkos, poème enregistré pour la revue Boxon, 1999
Message laissé sur le répondeur de Catherine Gilloire, 2011.
Raoul Hausmann, extrait de Phonèmes, 1956-1957.
Tristan Garcia, extrait de la conférence Laisser être et rendre puissant, 2017.
Pierre Repp, extrait du sketch Les Crêpes, années 60.
Nicolas Sarkozy, extrait d’un discours, 2011.
Jacky Bernard et Fernand Raynaud, extrait du disque Les secrets du music-hall dévoilés par Jacky Bernard publié par Fernand Raynaud, 1965.
Claude Gaignebet, extrait de l’émission Euphonia, France Culture, 1988.
Scène de nuit parisienne, enregistrement personnel, 2013.
Marie-Pierre Planchon, extrait de la météo marine, France Inter, 2009.
Josep Maria Puyal, extrait du commentaire d'un match, Catalunya Ràdio, 2007.
Gherasim Luca, lecture du poème “Passionnément”, 1986.
Extrait du film Singin’ in the Rain de Stanley Donen et Gene Kelly, 1952.
John Korrey, extrait d'une vente aux enchères, extrait du DVD Chant of a Champion, 2007.
The Monty Python, extrait de l'émission The Monty Python's flying Circus, 1972.
Romain Duris et Fabrice Luchini, extrait du film Molière de Laurent Tirard, 2007.
Scène de rond-point dans le Gard, extrait d’un live sur périscope, 2018.
Exercices de prononciation en français, enregistrement de Joris Lacoste, 2013.
Extrait d'une conférence de développement personnel, Allemagne, 2014.
Claude Bartolone, extrait d’une séance de l’Assemblée nationale, 2013.
Soliloque sur un quai métro, enregistrement personnel, 2016.
Morsay Truand 2 la Galère, vidéo postée sur YouTube, 2008.
Robert Wilson et Christopher Knowles, extrait de la performance A Letter to Queen Victoria: The Sundance Kid is Beautiful, 1975.
Apéro entre amis, enregistrement personnel, 2020.
Redjep Mitrovitsa, extrait du spectacle Le Journal de Nijinski enregistré pour France Culture, 1996.
Service client de la compagnie Elion, année inconnue.
Extrait d'une séance de méditation ASMR, YouTube, 2014.
Extrait d'un tchat entre deux gameurs, ViolVocal.com, 2007.
Donald Rumsfeld, extrait d'une conférence de presse, circa 2003.
Extrait d'un enregistrement personnel de Gauthier Tassart, 2007.
Allen Ginsberg, extrait d'une lecture du poème Hum Bom !, 1994.
Eartha Kitt, extrait du documentaire All by Myself: The Eartha Kitt Story, 1982.
Gertrude Stein, lecture du poème If I Told Him, A Completed Portrait of Picasso, 1934-1935.
Paula White, extrait d’un prêche en soutien au dépouillement lors de l’élection présidentielle étasunienne, 2020.
Apéro entre amis, enregistrement personnel, 2020.
Scène de famille, enregistrement personnel, 2016.
Pierre Repp, extrait du sketch « Le fin diseur », 1982.
Jean-Luc Godard, extrait d'un live Instagram, 2020.
Claude Bartolone, extrait d’une séance de l’Assemblée nationale, 2013.
Jérôme, extrait de l'émission Radio Tisto, l’émission des jeunes de l’hôpital de jour d’Antony, Radio Libertaire, 2020.
Improvisation d’un enfant de six ans, enregistrement personnel, 2019.
Annonce de fermeture de l'American Museum of Natural History de New York, 2018.
Scène de rond-point dans le Gard, extrait d’un live sur périscope, 2018.